"Nous ne comptons pas rester dans notre tour d'ivoire", Marco Schank au sujet de ses portefeuilles ministériels

paperJam: Monsieur Schank, vous avez été dix ans député (CSV), mais jamais ministre. Pourquoi vous a-t-on appelé au gouvernement?

Marco Schank: La raison principale est que les circonscriptions Nord et Est du pays avaient obtenu de très bons résultats aux élections nationales du 7 juin dernier. Le Premier ministre Juncker a donc choisi de respecter cette représentativité géographique de la nouvelle Chambre des députés au sein du gouvernement.

paperJam: Quelles étaient vos motivations quand vous avez accepté ces deux portefeuilles du Logement et de ministre délégué au Développement durable et aux Infrastructures?

Marco Schank: Je me suis toujours intéressé à l’aménagement du territoire et au développement régional. Ceci, au niveau national; quand j’étais député (de 1999 à 2009), je présidais la Commission des Affaires intérieures et de l’Aménagement du territoire. Mais aussi au niveau communal, j’ai été conseiller municipal puis bourgmestre de la commune de Heiderscheid, de 1982 à 2009. J’ai toujours été un adepte d’une approche intégrée de l’aménagement du territoire qui tient compte des articulations entre les différents secteurs tels les transports, le logement, les loisirs, les activités professionnelles… Cette approche a d’ailleurs un impact fort sur la planification même du pays. C’est certainement et notamment pour cette raison, je pense, que j’ai été choisi.

paperJam: Vous allez donc pouvoir mettre en place des idées et des projets qui vous tiennent à cœur…

Marco Schank: Certainement. Notamment au niveau du logement et de l’environnement. Si la protection du climat me tient à cœur, c’est que la construction de logements durables est pour moi tout aussi importante. Quand j’étais bourgmestre, nous avons construit des logements sociaux avec une planification écologique dans la commune d’Eschdorf, grâce à la loi sur les aides au logement qui permet aux communes d’obtenir des aides étatiques de 50% pour les infrastructures, de 70% pour le locatif, de 50% pour une acquisition de terrain et même de 100% pour les intérêts pendant deux ans. Ces parcelles coûtent moitié moins cher que le prix du marché. Nous avons fait une opération zéro, c’est-à-dire sans bénéfices ni pertes. Cet exemple montre qu’on peut construire d’une façon écologique et moins cher, dans les communes. Je compte aussi mettre en place des projets pilotes, pour bien montrer qu’on construit de manière durable, et pas uniquement sur le plan énergétique. Car la construction durable passe aussi par le choix du terrain, l’utilisation des matériaux de construction, la sauvegarde des ressources du sol, la diminution de la consommation d’eau et d’énergie, la proximité des transports publics… Le développement durable, c’est aussi la cohésion sociale, voire la construction durablement économique; il s’agit de bâtir de telle façon que les gens arrivent à financer leur logement. Il faut donc intégrer tous ces facteurs dans une vision plus globale qui respecte le contexte environnemental et urbain. Tout en faisant participer des partenaires importants, comme les promoteurs privés et les communes, à ces chantiers.D’ailleurs, avant la fin de l’année, je présenterai le IXe plan quinquennal au niveau du logement qui prévoit pas moins de 9.000 unités de logement à construire pour les cinq années à venir. Le programme renforcera aussi la participation des acteurs publics comme les communes, le Fonds du Logement, la Société Nationale des Habitations à Bon Marché qui vont investir dans le logement à coût modéré, dans les prochaines années.

paperJam: Ces structures verront-elles également leurs responsabilités élargies?

Marco Schank: Nous souhaitons élargir le champ d’action du Fonds du Logement, dont la mission ne devra plus se limiter à la construction de logements uniquement. Son intervention pourra également s’étendre aux bureaux, aux commerces, à la construction de crèches notamment… L’établissement public autonome doit en effet devenir une société de développement national, qui aide les collectivités dans le financement et le développement de projets municipaux. Nous comptons dans ce cadre demander un audit de l’organisme, pour voir comment il pourra remplir ces nouvelles missions.

paperJam: Quelles sont vos autres grandes priorités?

Marco Schank: Je vais d’abord faire une tournée auprès des communes, pour les inciter à mettre en place des programmes de construction de logements bon marché, mais aussi à collaborer avec l’Etat dans le cadre du Pacte logement. Je ne souhaite pas en effet attendre encore trois ans avant de tirer un premier bilan. Je veux déjà voir moi-même sur le terrain, auprès des communes, si elles rencontrent des problèmes. Je compte aussi leur proposer l’aide de mon ministère et de mes services pour bien avancer dans ce sens. Mais il faut en revanche s’attendre à ce qu’elles s’engagent de leur côté au niveau du logement. La loi du 21 septembre 2006 sur le bail à usage d’habitation définit, dans son article 26, les missions incombant aux autorités communales: "ces administrations communales ont la mission d’assurer dans la mesure du possible le logement de toutes les personnes qui ont leur domicile sur le territoire de la commune". Elles ont donc la mission légale de s’engager dans cette voie. Beaucoup de communes du monde rural ont, ces dernières années, connu un accroissement de leur population, car les prix des terrains proposés sur leur territoire étaient moins chers. Et ce sont ces prix des terrains meilleur marché qui ont incité les gens à venir s’installer dans le Nord et dans l’Est du pays, notamment.

paperJam: Comment comptez-vous accompagner ces changements démographiques et urbains dans les communes?

Marco Schank: La répartition et la structure démographiques de la population ont changé. Les styles de vie ont eux aussi évolué. Désormais, dans le couple, les deux conjoints travaillent et n’ont donc plus le temps de s’occuper de leur jardin. Il y a aussi de plus en plus de familles monoparentales ou reconstituées. Les besoins et les activités ont changé, et les logements doivent être adaptés à ces nouvelles réalités. Aussi, il faut réfléchir à de nombreuses questions, telles que le choix du terrain, l’utilisation des matériaux de construction écologiques, la diminution de la consommation d’eau, la proximité des transports publics. Il faut les intégrer dans une vision plus globale qui respecte le contexte urbain et environnemental.

paperJam: Quand allez-vous tirer un premier bilan du Pacte logement?

Marco Schank: L’Etat a déjà signé 101 accords avec les communes, dans le cadre du Pacte logement. Je recherche désormais une approche plus dynamique. Nous allons donc commencer à faire le point avec les communes concernées par l’IVL (Integratives Verkehrs- und Landesentwicklungskonzept), le concept de planification national à long terme, qui prend en compte l’interaction entre les agglomérations et les transports et y intègre les exigences environnementales et du développement des paysages. Puis nous regarderons si ces communes utilisent bien les instruments mis à leur disposition: le droit de superficie, le droit de préemption, le droit d’emphytéose…

paperJam: Quelles nouvelles mesures comptez-vous prendre concernant l’efficacité énergétique des bâtiments?

Marco Schank: Dès janvier de l’année prochaine, nous lancerons un débat important sur le deuxième plan d’action climat. Il s’agira de bien définir les mesures à prendre dans ce domaine. Nous prévoyons ainsi la mise en œuvre d’un Pacte climat entre l’Etat et les communes. Nous souhaitons faire du Luxembourg en quelque sorte un précurseur dans l’amélioration de l’assainissement des bâtiments existants, dans l’amélioration aussi du conseil au niveau de l’efficience énergétique du bâtiment. Nous allons en outre revoir et améliorer les aides étatiques déjà en place, au niveau de la mobilité, de la performance énergétique du bâtiment. Nous ne comptons pas rester dans notre tour d’ivoire, mais bien rencontrer les forces vives du pays, les ONG, les communes et la société civile. Nous souhaitons aussi organiser des événements pour sensibiliser et montrer ce qu’est exactement le développement durable.Je veux aussi lancer, l’année prochaine, un débat sur la construction appropriée dans le monde rural. Il existe dans les villages des horreurs absolues, quand on voit des maisons gigantesques construites sur plusieurs niveaux. Même si cela reste de la compétence des communes, je veux remédier à cela. Il existe des possibilités. On peut construire des gabarits de maison moins complexes, qui ressemblent un peu à des fermes.

paperJam: Au Luxembourg, on manque encore d’instruments fiables pour mesurer le marché immobilier. Que comptez-vous faire pour le rendre plus transparent?

Marco Schank: Une loi est prévue sur la question, en vertu de l’accord gouvernemental, pour mettre en place des mesures allant dans ce sens, pour standardiser et préciser la nature des actes notariés. Ces documents devront contenir un certain nombre d’informations standardisées, qui nous permettront d’avoir à l’avenir des données plus fiables et comparables. Pour le moment on ne sait même pas, quand une vente est actée, de quel type de bien il s’agit. S’agit-il d’une forêt, de plusieurs articles différents, d’une maison, de champs…? De même, quand l’Observatoire de l’Habitat publie des chiffres tirés des annonces publiées dans les journaux et sur Internet, il est très difficile d’avoir une cartographie exacte du marché immobilier. Il faut toutefois vous dire que nous avons une bonne collaboration avec le notariat et l’Administration de l’enregistrement pour avoir des informations plus précises dans ce sens.

paperJam: Ces mesures auront-elles un impact sur les prix mêmes du marché?

Marco Schank: Le marché immobilier luxembourgeois est actuellement très attentiste. Les propriétaires maintiennent leurs prix élevés à la vente ou à la location et ne semblent pas prêts à vouloir les baisser. De leur côté, les acheteurs potentiels attendent de voir les prix et les loyers effectivement diminuer. Cependant, les dernières données publiées par l’Observatoire de l’Habitat et par athome.lu indiquent une légère baisse des prix. Mais le marché reste, il est vrai, tendu.

paperJam: Quel premier bilan tirez-vous de ces trois premiers mois passés au gouvernement?

Marco Schank: J’ai été assermenté le 23 juillet dernier, il y a donc plus de quatre mois. Après des semaines pour se mettre en route, j’aime bien ce que je fais. A partir de l’année prochaine, je pourrai concrétiser mes idées et mettre en route les procédures pour y arriver.

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